Peut-on encore construire en centre ville?

Auteur : DELRAN Camille
Publié le : 19/10/2009 19 octobre oct. 10 2009

Les troubles anormaux du voisinage n’ont pas échappé aux digressions jurisprudentielles et deux arrêts de principe du 4 février 1971 ont retenu la responsabilité de l’auteur du trouble sans qu’il n’y ait de preuve d’une faute.

Troubles anormaux du voisinageA l’origine du Code civil, la responsabilité civile était indissociable de la notion de faute, de préjudice et de lien de causalité entre la faute et le préjudice (Article 1382 et suivants du code civil).

Au fil du temps, le législateur et la jurisprudence ont cru bon de d’orienter ce régime vers une responsabilité « de plein droit » dans de nombreux domaine (faits des choses, accident de la circulation etc.…). La conséquence directe d’une telle orientation du droit de la responsabilité civile est qu’il appartient à l’auteur de démontrer des causes exonératoires et non pas à la victime de prouver la responsabilité de l’auteur. Tout ceci bien sur dans un seul but : indemniser la victime et si possible par l’intermédiaire d’une assurance.

Les troubles anormaux du voisinage n’ont pas échappé aux digressions jurisprudentielles et deux arrêts de principe du 4 février 1971 ont retenu la responsabilité de l’auteur du trouble sans qu’il n’y ait de preuve d’une faute. (3ème ch civ 4/2/1971 bull. civ. 1971 III n° 80 ; JCP G 1971 II n° 16781).

Le principe fondamental de cette théorie fut cependant posé il y a 20 ans seulement : “nul ne doit causer à autrui un trouble de voisinage” (Cass. 2e civ., 19 nov. 1986 : Bull. civ. 1986, II, n° 172). La cour de cassation s’est définitivement affranchie tant de l’article 1382 précité, trop restrictif, que de l’article 544 du code civil (atteinte au droit de propriété) trop controversé.

Cette jurisprudence créant une source autonome de responsabilité est à l’origine d’un contentieux pléthorique, favorable à la victime du trouble celle-ci n’ayant aucune faute à prouver et l’auteur n’ayant aucune possibilité de s’exonérer de sa responsabilité par absence de faute.

Qu’en est-il au regard de l’activité de chantier ?
Nombre de juridictions ont condamné les constructeurs au visa du principe prononcé par la haute Cour, les commentaires sont abondant (profs PERINET-MARQUET, MALINVAUD, GROUTEL, JUORDAIN, VILLIEN…).

Aujourd’hui, la tendance semble s’inverser. Ainsi, le 12 avril 1991 la Cour d’Appel de PARIS précise dans un arrêt
important qu’un chantier n’engendre pas nécessairement un trouble dépassant les inconvénients normaux du voisinage.

En 2001 la cour d’Appel d’Angers a estimé que les nuisances sonores d’un chantier ne donnaient pas lieu à indemnisation au profit du voisin, dès lors qu’il n’était pas démontré « que la gêne occasionnée par les travaux ait excédé en intensité et en durée les troubles habituellement occasionnés par les chantiers en agglomération. »
Enfin dans une récente affaire du 26 mars 2009, initiée par une propriétaire, voisin d’un immeuble en construction, la Cour d’Appel de PARIS est allée encore plus loin en énonçant :

« Si le maitre d’ouvrage (celui qui construit) est présumé responsable des troubles causés à son voisin, la réparation suppose la démonstration par Mme X non pas seulement de son entier préjudice directement en relation avec le chantier mais d’un préjudice anormal dépassant les inconvénients normaux de voisinage, lesquels comportent en milieu urbain dense, l’obligation de supporter les opérations immobilières voisines nécessaires à l’adaptation et à la rénovation du tissu urbain. »

La lecture de ces quelques décisions permet de ressentir l’évolution jurisprudentielle que l’on pourrait représenter par une courbe sinusoïdale : augmentation du contentieux en raison du fondement juridique favorable, stabilisation après adaptation, et régression eu égard aux effets pervers constatés.

Ainsi la Cour d’Appel de PARIS, dans sa décision de 2009, a imaginé résolument mettre à la charge de la victime une véritable obligation, au sens juridique du terme, de supporter les opérations immobilières voisines nécessaires à l’adaptation et à la rénovation du tissu urbain.

Gageons que la crise économique a probablement été un facteur décisionnel mais il n’en demeure pas moins que la décision est osée tant sur le plan juridique que sociologique.

Quid en effet, si un quartier tout entier, s’engouffre dans un procès au seul motif que le maitre de l’ouvrage est responsable de plein droit à raison des nuisances d’un chantier par essence « temporaire » ?
La cour de cassation confirmera t’elle cette décision ? il faudra encore attendre…

Construire en site urbain est loin d’être simple même si l’on respecte la totalité des règles en vigueur, il y aura toujours un « voisin récalcitrant » ou tout simplement plus sensible qui tentera sa chance sans se soucier des conséquences économiques à long terme.

Cela semble d’autant plus navrant que la cour de cassation a reconnu qu’une nouvelle construction peut être source de responsabilité, nonobstant sa légalité et sa conformité aux règles civiles et d’urbanisme. Le préjudice est alors d’autant plus facile à apprécier qu’il est quantifiable (perte de soleil de vue de valeur) et durable. (voir notamment, Cass 3eciv, 9 mai 2001, Resp, civ et assur. 2001 comm n° 262).



Cet article n'engage que son auteur.

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