L'obligation de dénonciation des infractions routières des salariés envisagée par l'article 121-6 du code de la route

L'obligation de dénonciation des infractions routières des salariés envisagée par l'article 121-6 du code de la route

Auteur : DELRAN Camille
Publié le : 28/11/2016 28 novembre nov. 11 2016

En cas d'infraction commise avec un véhicule de société notamment constatée par un radar automatisé, il est très difficile de poursuivre l'auteur faute de connaître son identité, de faire payer l'amende et de retirer les points sur son permis. 

Le Législateur a mis en place un dispositif coercitif imposant au représentant légal de cette personne morale titulaire du certificat d'immatriculation de payer au lieu et place du contrevenant.

C'est donc clairement le chef d'entreprise, es qualité, qui est visé.

Ce système montre ses limites au regard du permis à points, puisque faute de connaitre l'identité du conducteur, ce dernier ne se voit retirer aucun point.

L'objectif de la réforme est de "contraindre à la dénonciation" le représentant légal de cette personne morale titulaire du certificat d'immatriculation qui recevrait une contravention commise avec un véhicule de la société.

Le 24 mai 2016, l'assemblée a donc adopté, notamment, un article 15A dans la Loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, une nouvelle sanction pénale à l'encontre des chefs d'entreprise.

Théoriquement applicable au 1er janvier 2017, la mesure n'est pas encore définitive.

En effet, le 17 octobre 2016, 60 députés ont saisi le Conseil Constitutionnel afin de contrôler la constitutionnalité de la loi, en ce compris l'article 15 A précité.

Mais le nouveau dispositif est il vraiment adapté ?

  LE REGIME ACTUEL Le titulaire du certificat d'immatriculation est pécuniairement responsable. A.    Fonctionnement du dispositif •    Fondement juridique : L'Article L 121-3 du Code de la route

"Par dérogation aux dispositions de l'article L. 121-1, le titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule est redevable pécuniairement de l'amende encourue pour des contraventions à la réglementation sur les vitesses maximales autorisées, sur le respect des distances de sécurité entre les véhicules, sur l'usage de voies et chaussées réservées à certaines catégories de véhicules et sur les signalisations imposant l'arrêt des véhicules, à moins qu'il n'établisse l'existence d'un vol ou de tout autre événement de force majeure ou qu'il n'apporte tous éléments permettant d'établir qu'il n'est pas l'auteur véritable de l'infraction.

La personne déclarée redevable en application des dispositions du présent article n'est pas responsable pénalement de l'infraction. Lorsque le tribunal de police ou la juridiction de proximité, y compris par ordonnance pénale, fait application des dispositions du présent article, sa décision ne donne pas lieu à inscription au casier judiciaire, ne peut être prise en compte pour la récidive et n'entraîne pas de retrait des points affectés au permis de conduire. Les règles sur la contrainte judiciaire ne sont pas applicables au paiement de l'amende.

Lorsque le certificat d'immatriculation du véhicule est établi au nom d'une personne morale, la responsabilité pécuniaire prévue au premier alinéa incombe, sous les réserves prévues au premier alinéa de l'article L. 121-2, au représentant légal de cette personne morale.
"


•    En pratique

Ainsi le Chef d'entreprise peut :

1 - Soit dénoncer le conducteur, et ne pas payer les amendes et contraventions

2 - Soit se taire et payer (au risque de se voir retirer les points personnellement puisque le paiement vaut reconnaissance de l'infraction)

3 - Soit présenter une requête en exonération, et c'est l'exception du dispositif.

Il peut s'exonérer de TOUT s'il établi "l'existence d'un vol ou de tout autre événement de force majeure ou qu'il n'apporte tous éléments permettant d'établir qu'il n'est pas l'auteur véritable de l'infraction".

Faute de pouvoir identifier le véritable conducteur, Le dirigeant, es qualité, se trouvait alors souvent convoqué devant le tribunal de police et condamné en tant que redevable de l'amende pécuniaire. B.    Les limites du dispositif actuel 1. Création artificielle d'un sanction pécuniaire 

Juridiquement, Le principe de responsabilité pénale personnelle a été contourné. 

Il n'est pas envisageable en droit fondamental d'être pénalement responsable des infractions commises par des tiers, mais l'article L 121-3 crée une infraction à charge d'une personne, le chef d'entreprise, qui n'a rien fait!

Au demeurant, L 121-3 du code de la route n'évoque pas, assez pudiquement, le terme de responsabilité pénale mais seulement une "redevabilité pécuniaire" de l'amende encourue par le contrevenant.


2. Absence de retrait des points

Aujourd'hui le constat est Simple : dans 2 cas sur 3, ce sont des centaines de conducteurs dont les points ne sont pas retirés malgré la commission d'infractions pénales.

La politique sécuritaire et le permis à points sont donc inefficaces pour les infractions automatisées.

Sociologiquement, le procédé est assez logique et tente, faute de pouvoir poursuivre le contrevenant, de créer une pression sur Le titulaire pour obtenir le nom du conducteur.

Mais le texte actuel n'est pas abouti depuis sa création dans la mesure où la sanction seulement financière et l'absence de poursuite systématique n'a pas incité les chefs d'entreprise à dénoncer.

Fallait il pour autant créer ex nihilo un dispositif bancal ?

Pour être en adéquation avec le dispositif répressif le législateur devait évoluer. 

Pour autant il n'a rajouté qu'une infraction sans résoudre le problème de retrait des points. Pour l'instant... 
LE NOUVEAU REGIME : Le représentant légal de la personne morale doit indiquer l'identité du conducteur. A.    Fonctionnement du nouveau régime •    Fondement juridique

L’Assemblée nationale a voté en première lecture le 24 mai 2016, la modification de l'article 121-3 Code de la route et la création de l’article L.121-6 du Code de la route :

1. La modification de L121-3 permet d'appliquer le dispositif à de nouvelles infractions fixées par décret.

"Les termes de "contraventions à la réglementation sur les vitesses maximales autorisées, sur le respect des distances de sécurité entre les véhicules, sur l’usage de voies et chaussées réservées à certaines catégories de véhicules et sur les signalisations imposant l’arrêt des véhicules" sont remplacés par "infractions dont la liste est fixée par décret en Conseil d’État"".

Ceci sous entend que la liste initiale est destinée à évoluer vers d'autres infractions.


2. L'article 121-6 crée une nouvelle infraction pénale

"Lorsqu’une infraction constatée selon les modalités prévues à l’article L. 130-9 [Ndr: appareils de contrôle automatique et probablement extension par décret] a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d’immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale, le représentant légal de cette personne morale doit indiquer, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou de façon dématérialisée, selon des modalités précisées par arrêté, dans un délai de quarante-cinq jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention, à l’autorité mentionnée sur cet avis, l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol, d’une usurpation de plaque d’immatriculation ou de tout autre événement de force majeure.

"Le fait de contrevenir au présent article est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe (1)

Ils seront théoriquement en vigueur le 1er Janvier 2017 si la constitutionnalité de la loi n'est pas remise en cause.


•    En pratique

Le titulaire du certificat d'immatriculation, donc le représentant légal de la société, devra établir une double preuve pour échapper aux condamnations des articles L.121-3 et L.126-1

Il devra donc :

a) Soit dénoncer le conducteur, et ne pas payer les amendes et contraventions. 

b) Soit ne pas dénoncer et 
•    - être pécuniairement redevable de l'infraction commise par le conducteur, 
•    mais également être pénalement responsable de l'absence de dénonciation du conducteur.

Il devra alors s'acquitter de la somme prévue au titre de L121-3 mais aussi de l'amende de 4ème classe pour ne pas avoir dénoncé le conducteur. 

c)- Soit présenter une requête en exonération et, pour échapper au nouveau dispositif, il devra établir :
•    L'existence d'un vol ou usurpation de plaque d’immatriculation - exonératoire pour L121-3 et L121-6, 
•    Tous éléments permettant d'établir qu'il n'est pas l'auteur véritable exonératoire de la condamnation prévue par L121-3,
Mais aussi
•    tout autre événement de force majeure" qui l'empêche de dénoncer le conducteur pour s'exonérer de L121-6. B.    Analyse du futur dispositif  L'obligation de dénonciation se veut dissuasive et tente de faire pression sur le chef d'entreprise disposant d'une flotte de véhicule pour dénoncer le conducteur (salarié ou autre) et il limite au demeurant les possibilités d'exonération.


1.    L'obligation de dénonciation quasi-impérative

L'article l. 121-6 du code de la Route créera une infraction autonome en parallèle de l'article l. 121-3 précité.

Lorsque le chef d'entreprise refusera de dénoncer le conducteur, il sera alors potentiellement coupable de non-dénonciation de contravention et redevable d'une amende de 4ème classe.

Cette amende pour non dénonciation s'ajoutera à la précédente et permettra donc de poursuivre systématiquement le dirigeant, es qualité.

Pour s'exonérer de toute condamnation le chef d'entreprise visé aura fort à faire :

Les 2 articles précités se cumulent et le titulaire du certificat devra :

•    démontrer ne pas être redevable de l'amende pécuniaire au visa de l'article 121-3.
Pour ce faire, il peut établir "l'existence d'un vol ou de tout autre événement de force majeure" ou apporter "tous éléments permettant d'établir qu'il n'est pas l'auteur véritable de l'infraction"

•    établir pour ne pas dénoncer le conducteur auteur de l'infraction, (s'il n'y a ni vol, ni usurpation de plaque d'immatriculation qui l'aurait déjà exonéré de la première infraction) démontrer qu'il n'est pas en mesure pour un cas de force majeure de donner l'identité du conducteur !

La force majeure est définie par l'article 122-2 du Code pénal :

"N'est pas pénalement responsable la personne qui a agi sous l'empire d'une force ou d'une contrainte à laquelle elle n'a pu résister"

La jurisprudence est assez stricte en la matière et des difficultés, même considérables, contre lesquelles l'auteur de l'infraction a dû lutter, n'ont pas été considérées constitutives de force majeure (Cass. crim. 10février 1960).

Le chef d'entreprise devra donc faire preuve d'une grande imagination pour justifier d'un cas de force majeure exonératoire.

S'il échoue dans cette 2ème démonstration, gageons qu'il sera condamné pour le tout même s'il démontre ne pas être personnellement l'auteur de l'infraction.

2.        L'évolution attendue

Il ne s'agit que d'une amende de 4ème classe qui n'est pas inscrite sur le casier judiciaire, néanmoins, les "patrons" doivent s'attendre à de nouvelles convocations devant le tribunal de police et à devoir expliquer la non dénonciation du conducteur.

Ces dispositions vont probablement instaurer un climat délétère en entreprise et au sein des institutions :

•    Les Ultra-sécuritaires crieront au scandale lorsque le dirigeant ne dénoncera pas.
•    Les partisans des libertés fondamentales et opposés à toutes formes de dénonciation s'opposeront au juge en acceptant l'augure d'une éventuelle condamnation pénale propre.

En réalité le nouveau procédé n'autorise pas plus le retrait de points que l'ancien !

Certes, en l'absence de dénonciation, le coût pour la société sera potentiellement important, mais le coût global sera-t-il suffisant pour inciter à dénoncer le conducteur ?

L'avenir semble plus sombre pour les chefs d'entreprise car l'inquiétude est une pénalisation encore plus dure des infractions au code de la route.

L'article 11_1 du code de la route instaurant le permis à point dispose :

"Le nombre de points affecté au permis de conduire est réduit de plein droit lorsqu'est établie la réalité de l'une des infractions suivantes :

a) Infractions prévues par les articles L. 1er à L. 4-1, L. 7, L. 9 et L. 19 du présent code

b) Infractions d'homicide ou blessures involontaires commises à l'occasion de la conduite d'un véhicule automobile terrestre à moteur

c) Contraventions en matière de police de la circulation routière susceptibles de mettre en danger la sécurité des personnes, limitativement énumérées.

La réalité de ces infractions est établie par le paiement d'une amende forfaitaire, l'exécution d'une composition pénale ou par une condamnation devenue définitive.

Le contrevenant est dûment informé que le paiement de l'amende entraîne reconnaissance de la réalité de l'infraction et par là même réduction de son nombre de points.
"

Quand à l'article L11- 7 il dispose :

"Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application des articles L. 11 à L. 11-6 et fixe notamment le nombre de points initial, la liste des contraventions de police donnant lieu à retrait de points, le barème de points affecté à ces contraventions, les modalités de l'information prévue à l'article L. 11-3 ainsi que celles du retrait de points et de la formation spécifique prévue à l'article L. 11-6.3"

Un décret est un acte réglementaire pris par le Président de la République ou le Premier ministre.

La liste des infractions donnant lieu à retrait de point pourrait donc être étendue à l'article 121-6 du code de la route sans passer par une nouvelle loi.

Le dispositif serait alors extrêmement sévère pour les chefs d'entreprise mais imparable pour la sécurité routière.

Le dirigeant, même non personnellement responsable, se verrait infliger une sanction pénale lourde mais incitative à la délation.

Faut il en arriver à cette situation extrême ?

Toutes solutions accroissant la sécurité routière semblent louables, mais ne serait-il pas plus efficace de redonner la priorité aux forces de l'ordre sur le terrain, plutôt qu'à des automates ?
  A titre d'exemple avec le nouveau dispositif s'il est confirmé : 1 - pour un excès de vitesse de moins de 20 kilomètres/heure commis avec un véhicule de société :

•    Si le titulaire dénonce le conducteur :

- Le conducteur sera redevable d'une amende de 3ème classe soit 
-    Minorée : 45 €,
-    Forfaitaire 68 €,
-    Majorée 180 €.
- Le conducteur perd ses points.

•    Si le titulaire ne dénonce pas le conducteur 

- Le titulaire devrait donc payer 
-    Minorée : 45 € et 90 €* soit 135 €, 
-    Forfaitaire :68 € et 135 €* soit 203 €,
-    Majorée 180 € et 375 €* soit 555 €.

*Le second montant correspondant à l'infraction de 4ème classe du nouvel article L. 121-6 du code de la route

- Le conducteur ne perd pas ses points.


2 - Pour une infraction commise par un salarié relevant de la 4ème classe, par exemple un excès de vitesse supérieur à 20KM/H et inférieur à 50 km/h :

•    Si le titulaire dénonce le conducteur :
- Le conducteur sera redevable d'une amende de 3ème classe soit:
Minorée : 90 €
Forfaitaire : 135 €
Majorée : 375 €
- Le conducteur perd ses points.

•    Si le titulaire ne dénonce pas le conducteur
Le titulaire devrait donc payer 
Minorée : 90 et 90 € soit 180€, 
Forfaitaire :135 € et 135 € soit 270 €
Majorée 375 € et 375 € soit 750 €
- Le conducteur ne perd pas ses points.

Si le dirigeant ne dénonce pas, le total peut donc atteindre 750 € !

Si d'aventure un chef d'entreprise, connaissant le nom du conducteur se refuse à le dénoncer, faut-il aussi rappeler que toute retenue sur salaire et formellement interdite, "sauf faute lourde, l’employeur ne peut pas pratiquer une retenue sur salaire pour se faire rembourser d’une contravention attribuée à un salarié". Cour de cassation, chambre sociale, 17 avril 2013 n° 11-27550.


Index:
(1) Le montant des amendes de 4ème classe est de :
    - 90€ minorée, en cas de paiement dans les 15 jours,
    - 135 € forfaitaire si payée entre 15 et 45 jours (60j par internet),
    - 375€ majorée, si payée au delà.


Cet article n'engage que son auteur.
 

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